Par Bernard Colas et André-Philippe Ouellet, Collaborateur CMKZ
Malgré la période de crise secouant l’Organisation mondiale du commercial (OMC), l’action des États n’est pas au point mort et certains joueurs comme le Canada contribuent activement à l’avènement de solutions permettant de soutenir et de faire progresser le système commercial multilatéral.
En effet, en réponse au blocage empêchant l’Organe d’appel (OA) de l’OMC de fonctionner, le Canada, l’Union européenne et dix-sept autres Membres incluant l’Australie, le Brésil et la Chine se sont entendus à la fin de mars 2020 afin de mettre en place un mécanisme d’appel provisoire des rapports émis par les groupes spéciaux. La procédure provisoire multipartite permettant d’examiner en appel des différends commerciaux par l’intermédiaire de l’OMC (MPIA) ne constitue pas un accord en soi : il s’agit d’un arrangement de nature politique entre les Membres, énonçant leur intention de recourir à ce mécanisme afin de résoudre d’éventuels différends. La conclusion d’un tel arrangement entre des acteurs importants du commerce mondial envoie un signal positif quant à l’avenir du système multilatéral. L’objet de l’arrangement est de s’assurer du maintien pour les Membres de la capacité de faire respecter leurs droits au titre des Accords de l’OMC en préservant la possibilité d’un examen en appel, élément phare de l’architecture à deux niveaux du règlement des différends commerciaux.
Les trois piliers de la procédure
Le MPIA est composé de trois parties distinctes, la première détaillant l’objet du mécanisme et les deux autres régissant ses modalités d’application et la composition d’un bassin de dix arbitres appelés à entendre les appels. Le premier pilier de l’arrangement constitue un énoncé de principe par lequel les Membres font part de leur intention de recourir à ce mécanisme par le biais du recours à un arbitrage envisagé par l’article 25 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends. Les Membres adhérant au MPIA ont insisté sur le caractère provisoire de cette procédure et calquent la quasi-entièreté de ce processus d’appel intérimaire sur les dispositions régissant normalement le fonctionnement de l’OA. Cette procédure analogue à celle prévue pour l’OA vise à maximiser la légitimité des décisions appelées à être rendues par les arbitres en vertu de ce mécanisme. Le MPIA devra également être revu un an après sa mise en place.
Le deuxième pilier, l’annexe I, est un accord type sur lequel les Membres adhérant au MPIA sont appelés à se baser afin de mettre en œuvre un appel en vertu de l’article 25 du Mémorandum d’accord. Comme le MPIA n’oblige pas les parties en tant que tel, il est nécessaire que celles-ci notifient conjointement l’Organe de règlement des différends (ORD) en vertu de ce mécanisme. Afin de procéder à l’arbitrage, les parties doivent demander la suspension pour douze mois des procédures du groupe spécial ayant entendu l’affaire, et ce, entre la publication interne du rapport et le moment de sa diffusion externe. Les règles régissant la procédure régulière en appel sont incorporées dans l’accord type, notamment les procédures de travail et les règles de conduite s’appliquant aux arbitres afin de garantir leur impartialité et leur indépendance. Les garanties procédurales et substantives propres à l’examen en appel à l’OMC sont dès lors entièrement sauvegardées, y compris la possibilité pour les tierces parties au différend de participer à l’appel. La collégialité inhérente à l’OA est également maintenue, les trois arbitres désignés devant consulter les sept autres dans la mesure du possible. L’accord contient toutefois certaines innovations visant à pallier certaines lacunes de la procédure régulière en appel. Les arbitres pourront notamment limiter le nombre d’auditions, la durée des interventions ou encore la longueur des communications écrites afin qu’une décision en appel puisse être rendue dans les 90 jours. Sans préjudice aucun pour les parties, les arbitres pourront également suggérer que certaines allégations soient abandonnées par l’appelant afin de respecter le délai habituellement prescrit.
Le dernier pilier, l’annexe II, comprend les modalités entourant la sélection des arbitres appelés à siéger. Celui-ci établit qu’une liste de dix arbitres devra être constituée trois mois au plus après la circulation du MPIA, soit d’ici juillet 2020. Chaque Membre ayant adhéré au mécanisme pourra désigner un candidat. Les candidatures seront alors présélectionnées par un comité composé notamment du Directeur général de l’OMC et du président de l’ORD afin d’assurer la qualité des candidats. La liste sera in fine établie par consensus et valide pour deux ans. Le bassin potentiel d’arbitres n’est donc pas en soi limité aux anciens membres de l’Organe d’appel, malgré la volonté initiale du Canada. Lors de la survenance d’un appel, les trois arbitres seront aléatoirement sélectionnés dans le bassin conformément à la pratique de l’OA.
Une procédure ouverte aux autres Membres
Tout indique que le nombre d’adhérents au mécanisme devrait augmenter au cours des prochains mois, étant donné la possibilité ménagée aux autres Membres de s’y joindre à tout moment. Le maintien des droits des autres Membres vis-à-vis la résolution de ces différends et les modalités analogues à celles de l’OA devraient contribuer à accroître significativement le nombre de participants.
Un pas vers la réforme de l’Organe d’Appel
Enfin, le MPIA n’est pas seulement un mécanisme permettant de remédier provisoirement au blocage de l’OA : il s’agit également d’une expérimentation visant mettre à l’épreuve différentes suggestions ayant été émises au cours des dernières années afin de réformer l’OA ; l’un des principaux griefs des Membres — en particulier des États-Unis — concernant des délais trop longs afin qu’un rapport soit rendu. La mise en place de ce mécanisme est donc une bonne nouvelle : elle permet aux membres attachés à la règle de droit, comme le Canada, de faire valoir leurs droits au titre des Accords sur l’OMC tout en apportant certaines innovations pouvant conduire à sortir de l’impasse actuelle dans laquelle se trouve l’OA. La principale difficulté demeure toutefois de convaincre les États-Unis de remettre l’OA en fonction, la solution actuelle n’étant par définition que provisoire.