Dans le cadre des Neuvièmes rencontres internationales de l’Institut de la Médiation dans l’Espace Francophone, récemment tenues à Montréal, Me Paul Fauteux de CMKZ a participé le 16 août 2017 à une journée placée sous le thème «La médiation au cœur de l’entreprise : gérer des croyances, des règles, des valeurs et des rituels». Devant un parterre de responsables d’entreprise ou d’administration publique, de praticiens de la médiation et de formateurs de médiateurs de Belgique, de France et du Québec, les conférenciers étaient invités à présenter des cas pratiques et des grilles d’analyse permettant de faire une lecture dynamique des enjeux pour un changement à opérer dans les systèmes organisationnels.
Me Fauteux y a parlé de médiation transformative, une approche qui fournit une expérience exceptionnellement puissante aux personnes en conflit car elle se fonde sur la confiance dans le pouvoir de l’interaction humaine pour libérer le potentiel inhérent des gens pour la compétence et l’ouverture (pour plus de détails sur cette approche, voir le blogue sur « La médiation transformative : un puissant outil pour la prévention et la résolution de conflits » – lien).
Le cas pratique qu’il a présenté était un mandat de médiation que lui avait confié une administration publique du Nunavik (Nord du Québec) en raison de son expertise combinée en médiation et en affaires autochtones. L’origine de ce mandat était les graves préoccupations qu’inspirait à l’employeur le retour anticipé d’un employé qui avait profondément perturbé le milieu de travail avant un congé de maladie de huit mois et demi. Aux difficultés inhérentes à la réintégration au travail après une aussi longue absence s’ajoutaient d’importants risques psychosociaux et une forte dimension interculturelle.
L’historique du conflit peut être résumé comme suit. Au sein d’une équipe d’entretien composée de neuf ouvriers et de deux gestionnaires, les principaux intéressés sont un ouvrier non spécialisé d’âge mur d’origine Inuit, appelons le Perry, et un jeune plombier venu du Sud, appelons le Simon. Perry ne s’entend pas du tout avec Simon et développe à son égard un ressentiment auquel mènent souvent les différences de conditions de travail entre Inuits et non-Inuits. L’environnement de travail se dégrade rapidement pour Simon, d’autant plus que Perry ne se gène pas pour se plaindre de lui auprès de sa tante, la Directrice générale (DG) de l’administration publique en question.
L’hostilité entre les deux hommes s’aggrave lorsque Perry dénonce Simon et trois autres collègues pour avoir fait une mauvaise utilisation de leur allocation de transport de nourriture. En dépit du fait que ces quatre employés s’étaient fait dire par leur superviseur qu’il n’était pas interdit de vendre la partie inutilisée de cette allocation, la tante de Perry leur impose des sanctions sévères qu’ils perçoivent comme une injustice flagrante.
Le climat de travail général continue de se dégrader, ce qui conduit la direction à retirer à Perry sa prime de chef d’équipe. Le conflit avec Simon atteint son paroxysme quand Perry le dénonce une fois de plus auprès de la DG, l’accusant cette fois d’être de mèche avec un propriétaire de pizzéria soupçonné de trafic de drogue. Simon l’apprend et menace Perry de le poursuivre en diffamation. Entendant cette menace, Perry ressent une douleur intense à la poitrine et s’écroule. Emmené d’urgence à l’hôpital, le médecin lui dit que c’était une attaque de stress, mais que ça pourrait être un infarctus la prochaine fois et le met en congé de maladie prolongé.
Suite au départ de Perry, le climat de travail s’améliore, mais ses collègues anticipent son retour avec appréhension, craignant que « le cirque ne recommence ». Les membres Inuits de l’équipe signent une lettre à la DG disant que si on redonne à Perry son rôle de chef d’équipe ils démissionneront en bloc.
C’est dans ce contexte que Me Fauteux est intervenu. La première partie de son intervention a pris la forme de rencontres séparées avec Perry et Simon, suivies d’une séance de médiation en présence continue des parties qui a duré près de sept heures et à l’issue de laquelle celles-ci lui ont demandé de faire à leur employeur le rapport suivant :
« Malgré la très grande réticence de [Simon] à participer au processus de médiation, dans lequel il n’avait aucune confiance, lui et [Perry] ont eu une discussion significative de tous les enjeux les concernant et se sont entendus sur tous les points discutés. Les deux participants ont estimé que la médiation avait été excellente et qu’elle leur avait permis de retirer les bénéfices suivants :
– un nouveau regard sur les évènements,
– une compréhension élargie de la situation,
– une nouvelle opinion du point de vue de l’autre, et
– un climat de respect porteur de solutions futures.
Les deux participants attachent une grande importance au respect intégral de toutes les clauses de l’Accord de médiation qu’ils ont signé le 2 septembre 2016, particulièrement celles concernant la confidentialité. »
Une semaine après le retour au travail de Perry, Me Fauteux a parlé séparément aux deux gestionnaires de l’équipe pour savoir comment les choses se passaient. Tous deux lui ont répondu remarquablement bien: Perry et Simon avaient même travaillé ensemble et il n’y avait eu aucune friction entre eux, ce qui constituait un grand progrès. Leur patron les avait taquinés en parlant de leur « lune de miel » et avait constaté que Perry était sorti de la médiation « métamorphosé ».
À une époque où les risques psychosociaux en milieu de travail affectent de plus en plus la réputation des employeurs, c’est une bonne idée d’investir dans un outil d’une efficacité aussi clairement démontrée pour prévenir les différends et les régler lorsqu’ils surgissent. Par ailleurs, alors que les entreprises cherchent à limiter leurs coûts d’exploitation, y compris la vulnérabilité au litige, la médiation transformative leur offre l’occasion de déterminer eux-mêmes comment régler tant leurs différends commerciaux que ceux qui surgissent en milieu de travail, plutôt que de donner ce pouvoir à un tiers.
Paul Fauteux a été, de 2004 à 2010, Directeur général des Terres à Affaires autochtones et du Nord Canada. Il a ensuite conçu et mené un projet de recherche sur les Terres de réserve et le développement des Premières nations. Il a été formé en médiation transformative par et offre aujourd’hui des formations avec Joe Folger, co-fondateur de l’Institute for the Study of Conflict Transformation, et agit à titre de médiateur externe pour la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique du Canada. est diplômé en droit des Université de Montréal et McGill. Il enseigne la Médiation et la justice participative à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et l’Arbitrage commercial international à l’École du Barreau du Québec