Les sanctions : une « arme » trop populaire qui perturbe la vie des entreprises

La multiplication des sanctions commerciales et d’autres mesures restrictives au commerce constitue un casse-tête pour les entreprises. Les États y ont de plus en plus recours : pensons aux sanctions américaines contre la Chine, aux sanctions européennes contre la Russie, aux contre-mesures canadiennes contre les États-Unis ou encore aux sanctions japonaises contre la Corée du Sud.

À chaque sanction s’érige une contre-sanction : à titre d’exemple, aux surtaxes imposées par les États-Unis sur des biens en provenance de Chine d’une valeur de 550 milliards de dollars américains, cette dernière a riposté en imposant des surtaxes sur 185 milliards de dollars américains de biens en provenance des États-Unis. De même, aux tarifs états-uniens promulgués en 2018 sur l’acier et l’aluminium en provenance de l’Union européenne, cette dernière a mis en place des contre-mesures d’une valeur correspondante, soit 6,4 milliards d’euros.

Les sanctions économiques peuvent affecter considérablement les entreprises, dont les activités peuvent se trouver perturbées par les sanctions notamment canadiennes, états-uniennes, européennes ou chinoises, tant sur le plan du coût des intrants, de l’accès aux marchés, du transfert de technologies que du développement et du maintien de liens avec des partenaires d’affaires à l’étranger. Certaines sont permises par les accords internationaux ou le droit international général ; la majorité des sanctions et des contre-mesures ne le sont pas.

Des mesures licites et d’autres illicites

Parmi les mesures restrictives au commerce instituées par des États, certaines sont licites, d’autres illicites. Notons que la licéité d’une mesure restrictive au commerce est tributaire de la décision d’un organe juridictionnel, comme l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (« OMC »).

Au titre des sanctions licites, l’OMC a, le 14 octobre 2019, autorisé les États-Unis à appliquer des mesures de rétorsion pour un montant de près de 7,5 milliards de dollars américains contre les Communautés européennes et certains États membres de l’UE, après que ces derniers eurent été reconnus coupables d’avoir subventionné l’avionneur Airbus. Les États-Unis ont ainsi procédé à l’imposition de surtaxes, ou « droits de douane punitifs » sur des produits aussi variés que des vins, du fromage, des avions, des pièces industrielles et des engins de chantier. Les États-Unis envisageaient même, au début de l’été 2020, de faire « tourner » tous les six mois la liste de produits frappés de droits de douane, afin de diffuser les conséquences des sanctions sur plusieurs secteurs de l’économie européenne. Assujettie à un droit de douane punitif de 25 %, pour ses exportations à destination des États-Unis, l’industrie écossaise du whisky a vu ces dernières chuter de près d’un tiers depuis l’an dernier, représentant une perte de 300 millions de dollars américains.

Par contre, les surtaxes de 7,5 à 25 % appliquées par les États-Unis contre les produits importés en provenance de Chine ont été déclarées contraires aux règles commerciales internationales. Le 15 septembre 2020, un groupe spécial de l’OMC a donné raison à la Chine contre les États-Unis en concluant que les tarifs douaniers imposés par ces derniers aux importations de produits chinois violent les règles de l’OMC. Cette conclusion du groupe spécial de l’OMC concerne 234 milliards de dollars américains de produits chinois, sur des importations chinoises totales de 370 milliards de dollars américains aux États-Unis. Ces sanctions toujours en vigueur malgré la décision du Groupe spécial de l’OMC peuvent affecter les entreprises canadiennes se fournissant en produits en provenance de Chine mais transitant par les États-Unis.

D’autres sanctions illicites affectent également les entreprises canadiennes, au premier rang desquelles les nombreuses sanctions états-uniennes. Les tensions entre les États-Unis d’Amérique et leurs partenaires commerciaux ne sont en effet pas près de se calmer : tous les mois, l’administration Trump annonce l’imposition de sanctions contre des États, lesquelles peuvent porter sur les biens et ainsi se traduire par de nouveaux tarifs douaniers, ou porter sur les personnes ou les technologies.

Le 6 août 2020, le président Trump a annoncé que les États-Unis rétabliraient des droits de douane de 10 % sur certains produits d’aluminium en provenance du Canada. En réponse à ces mesures et pour un montant proportionnel au montant de produits d’aluminium canadiens qui eussent été affectés par les tarifs états-uniens, le Canada entendait imposer des surtaxes (des « contre-mesures ») de 3,6 milliards de dollars sur les importations d’aluminium et de produits qui contiennent de l’aluminium en provenance des États-Unis. Le Canada a fait appel aux entreprises pour choisir les secteurs qui eussent fait l’objet de contre-mesures canadiennes envers les États-Unis : la liste de produits que le gouvernement canadien envisageait de surtaxer incluait des biens variés, dont des électroménagers, des pièces industrielles, des portes, des fenêtres, des meubles, des bicyclettes, des remorques à bétail et des clubs de golf. Cet exemple témoigne éloquemment de l’instabilité des relations commerciales internationales : le 15 septembre 2020, à peine plus d’un mois après avoir annoncé l’imposition de tarifs douaniers sur l’aluminium canadien, l’administration Trump en annonçait la suspension.

Les États-Unis ont, le 19 septembre 2020, unilatéralement proclamé que les sanctions des Nations unies contre l’Iran sont à nouveau en vigueur. Ces sanctions avaient été levées en 2015 en contrepartie de l’engagement iranien à ne pas se doter de l’arme atomique. L’administration Trump menace d’interdire l’accès au marché et au système financier américains à tout pays ou entité qui violerait les sanctions onusiennes, même si les États-Unis étaient les seuls à estimer que celles-ci sont en vigueur. En effet, la majorité des pays estiment que ces sanctions onusiennes ne sont toujours pas en vigueur.

Les relations entre le Japon et la Corée du Sud demeurent tendues : rappelons que les autorités japonaises ont, à l’automne 2019, retiré la Corée du Sud de la liste de pays bénéficiant d’un traitement préférentiel : concrètement, les entreprises sud-coréennes devront désormais solliciter un permis pour importer des produits au Japon.

Le Canada maintient sa désapprobation de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie survenue en 2014 ; rappelons que le gouvernement canadien avait alors instauré des sanctions visant des entités et citoyens ukrainiens ayant participé à cette annexion territoriale. Le Canada a, le 29 janvier 2020, ajouté six individus à la liste des personnes et entités avec lesquelles les Canadiens ne peuvent conclure des transactions. En ce qui a trait aux sanctions européennes en réaction à la crise en Ukraine, le 18 juin 2020, l’Union européenne a prorogé jusqu’au 23 juin 2021 les interdictions d’importation, d’exportation, de prestation de services et les restrictions sur le commerce et les investissements en provenance, à destination ou sur le territoire de Crimée ou à Sébastopol. Concernant les sanctions économiques européennes ciblant les échanges avec la Russie dans des secteurs économiques spécifiques et ayant notamment pour effet de restreindre ou interdire certains transferts de technologies européennes vers la Russie, elles ont, pour l’heure, été prolongées jusqu’au 31 janvier 2021.

Les transferts de technologies se compliquent davantage

Le 17 août 2020, le département du Commerce des États-Unis a restreint encore davantage l’accès de Huawei à la technologie états-unienne. Il a également ajouté 38 filiales internationales du géant chinois des télécommunications à la liste des entreprises faisant l’objet de sanctions de la part des États-Unis (l’Entity list), et devant obtenir une licence particulière pour pouvoir y faire affaire.

Les sanctions états-uniennes peuvent contrarier les transferts de technologies d’entreprises canadiennes : ces dernières doivent en effet garantir qu’elles entendent respecter les règles relatives aux sanctions économiques des États-Unis. Elles doivent de plus s’assurer de ne pas vendre ou exporter des technologies à des pays sous sanctions, ni pour des fins militaires ou d’armement et qu’elles demanderont des licences d’exportation si elles entendent exporter des technologies spécifiques vers certains pays, particulièrement si elles sont destinées à des entités gouvernementales. Les pays concernés sont notamment l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Cambodge, la Corée du Nord, la République populaire de Chine, Cuba, la Géorgie, l’Iraq, l’Iran, le Laos, la Libye, Macao, la Russie, la Syrie, l’Ukraine et le Vietnam.

La Chine a adopté en mai 2020 une loi sur la sécurité nationale, laquelle interdit la subversion, la sédition et la sécession sur le territoire de Hong Kong. Dès l’annonce de ce projet de loi, des manifestations prodémocratie ont éclaté dans la crainte que cette loi viole l’autonomie et les libertés du peuple hongkongais prévues dans les modalités de la rétrocession en 1997 ; ces manifestations ont été rapidement réprimées. Alors que les États-Unis ont prestement instauré des sanctions ciblant des individus participant à la répression des manifestations prodémocratie, le Canada n’a pas instauré de sanctions. Affaires mondiales Canada a néanmoins annoncé que les demandes de permis d’exportation de biens et de technologies sensibles seront examinées plus en détail. Cette mesure pourrait mener à l’imposition de conditions additionnelles que devront satisfaire les exportateurs de biens et de technologies à destination de Hong Kong, en plus d’occasionner des délais de traitement plus longs des demandes de permis d’exportation. Les exportateurs de technologies destinées à un usage tant civil que militaire pourraient être particulièrement affectés par cette mesure.

Appréhender l’incertitude

Les sanctions et autres mesures restrictives au commerce sont aujourd’hui monnaie courante, et constituent un véritable casse-tête pour les entreprises canadiennes opérant à l’international. La technique des sanctions rotatives, qui consiste à faire « tourner » la liste de produits frappés de droits de douane, renforce cette incertitude. Il existe toutefois des moyens permettant de prévenir les imprévus : la vigilance, bien sûr, mais également la rédaction de contrats appropriés, contenant des clauses de force majeure bien réfléchies. Les entreprises peuvent en outre diversifier leurs fournisseurs et leurs pays d’approvisionnement, ou trouver des fournisseurs de substitution au cas où des sanctions augmenteraient les coûts de leurs intrants.

Les avocates et avocats de CMKZ suivent l’évolution des sanctions, et demeurent à l’affût des mesures qui peuvent affecter les activités commerciales des entreprises et des moyens pour mitiger leur impact sur le développement des activités internationales des entreprises.

Pour de plus amples renseignements, n’hésitez pas à contacter Bernard Colas, Hassan Chahrour ou l’un de nos autres avocats de CMKZ spécialisés en droit du commerce international.

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