Les entreprises ne peuvent plus importer des produits fabriqués en violation de droits humains. En effet, depuis le 1er juillet 2020, la Loi sur le Tarif des douanes du Canada ainsi que l’Annexe du Tarif des douanes ont été modifiées pour inclure une interdiction d’importation de biens issus en tout ou en partie du travail forcé. Cette interdiction mettait en œuvre une des dispositions de l’ACEUM (Accord de libre-échange Canada États-Unis Mexique). Ces modifications des tarifs ont aussi servi de bases légales à des mesures renforcées aux frontières pour tous les biens en provenance ou en direction de la province chinoise de Xinjiang depuis le 12 janvier 2021. Dans un avis aux entreprises, le gouvernement canadien a réagi à la preuve que la population ouïghours de cette région serait forcée par le gouvernement Chinois à produire des biens destinés à l’exportation. Le même jour, et de concert avec le Canada, le Royaume-Uni a imposé des mesures similaires. Le lendemain, les États-Unis, qui avaient déjà émis un avis aux entreprises sur le travail forcé à Xinjiang en juillet 2020, ont publié cette fois une ordonnance à l’effet que le personnel des points d’entrée américains détiendrait l’intégralité des importations de produits de coton et de tomates en provenance de Xinjiang. Deux mois plus tard, le 22 mars, l’UE, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont lancé des sanctions coordonnées contre des fonctionnaires et une entité de Xinjiang, ce à quoi la Chine a riposté du tac au tac par des sanctions contre des personnalités et entités des quatre alliés.
Le travail forcé des Ouïghours de la région du Xinjiang utilisé dans la fabrication de produits destinés à l’exportation est de plus en plus scruté la société civile et les gouvernements depuis la publication en février 2020 par un think tank australien d’un rapport sur le sujet contenant des preuves ainsi que d’une liste de 82 marques mondiales qui s’approvisionneraient dans des usines chinoises exploitant les Ouïghours. Alors que les allégations et preuves documentées concernant leur exploitation en Chine sont de plus en plus considérées comme des faits et qu’il devient clair que de nombreuses marques mondiales populaires s’approvisionnent dans ces usines, on assiste à une vague de condamnations politiques ainsi qu’à l’adoption et à l’utilisation de mesures juridiques par les gouvernements et la société civile pour remédier à ces abus par le gouvernement chinois. En outre, la pression publique sur la réputation des entreprises est forte. Par exemple, récemment, douze des entreprises japonaises mondiales répertoriées par le think tank australien ont déclaré à un journal japonais qu’elles cesseraient ou envisageraient de cesser leurs activités avec d’autres entreprises qui recourraient au travail forcé.
Au-delà de Xinjiang ainsi que de l’aspect politique et de réputation de ces mesures, les contrôles aux frontières par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada créent des restrictions visant les violations des droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement qui imposent aux entreprises d’effectuer une diligence raisonnable de leurs chaînes d’approvisionnement si elles désirent importer ou exporter et vendre leurs produits. En fait, ces restrictions se situent au sein d’une nouvelle tendance à imposer des obligations de diligence raisonnable aux entreprises, au lieu de recommandations comme celles des Principes directeurs des Nations Unis ainsi que ceux de l’OCDE qui primaient auparavant. En outre, d’autres mesures prises les dernières années par certains gouvernements, comme le Royaume-Uni et l’Australie sur l’esclavage moderne, ne prévoient que des pénalités de l’ordre d’une divulgation des mesures de diligence ou d’un risque de dommage à la réputation. Depuis peu, plusieurs gouvernements ont décidé d’imposer un devoir accru aux entreprises, accompagné de pénalités plus sévères.
Les principales violations de droits humains ciblées par les récentes mesures sont le travail forcé et le travail d’enfants, bien que d’autres violations soient aussi visées. Les États-Unis ont été les premiers en 2015 à restreindre les importations de biens issus de travail forcé et ont une pratique frontalière active et bien définie à cet égard. Par exemple, au-delà du Xinjiang, le 30 mars, le bureau américain des douanes et de la protection des frontières a ordonné la saisie de gants de latex issus de travail forcé en Malaisie par le plus grand producteur de gants de latex au monde, un produit dont les importations ont monté en flèche pendant la crise du Covid19. La France a aussi innové en 2017 avec la Loi française sur le devoir de vigilance ainsi que les Pays-Bas en 2019 avec la Loi sur la diligence raisonnable en matière de travail d’enfants. L’Allemagne a aussi un projet de loi qui devrait être adopté cette année sur une diligence raisonnable en matière de droits humains variés, dont le travail forcé et d’enfants, et l’Europe attend aussi une recommandation semblable de la Commission européenne. Les pénalités pour non-respect de ces lois consistent surtout en de larges amendes administratives, mais la loi française, la future loi allemande et les futures règles européennes prévoient aussi des poursuites civiles par les victimes de violations de droits humains. Cependant, bien qu’innovante, la loi française ne s’applique qu’à des entreprises présentant certaines caractéristiques spécifiques et plusieurs espèrent que la future loi européenne de vigilance aille plus loin dans ce sens. Par exemple, trois ONG réputées et une rescapée ouïghoure ont déposé une plainte civile le 9 avril devant le tribunal judiciaire de Paris (compétent pour les crimes contre l’humanité) contre quatre entreprises multinationales de l’habillement, mais la loi française sur le devoir de vigilance des entreprises ne s’appliquait à aucune d’elles. Les plaignants ont principalement fondé leur plainte sur des faits tirés du rapport du think tank australien et ont accusé les entreprises de recel de travail forcé et de crimes contre l’humanité. L’Association des Ouïghours de France avait déposé une plainte contre Nike pour pratiques commerciales trompeuses et complicité de recel de travail forcé devant le même tribunal de Paris en février.
La question se pose alors sur les moyens par lesquels les entreprises peuvent veiller au respect de ces nouvelles règles et éviter d’importer des produits fabriqués en violation de droits humains. Voici quelques idées :
- Recueillir le plus d’information possible sur la mise en œuvre des mesures, des attentes de diligence et des possibilités de support technique. Des informations sont disponibles auprès d’Affaires mondiales Canada et du Service des délégués commerciaux.
- Effectuer une évaluation des risques et analyser la chaîne d’approvisionnement pour voir s’il y a des violations de droits humains commises par une des entités.
- Utiliser des indicateurs spécifiques de travail forcé. Pour Xinjiang, l’emplacement d’une l’usine à proximité des camps d’internement ou l’utilisation de centres de formation pédagogique constitue certainement un indicateur.
- Développer des contrôles internes au sein de l’entreprise, comme des codes de conduite.
- Remédier aux violations avec diligence.
- Faire des rapports sur la performance et l’engagement.
- Faire auditer la chaîne d’approvisionnement par un tiers.
Les gouvernements devront s’assurer de donner assez d’informations aux entreprises pour qu’elles s’adaptent à cette nouvelle tendance. Le gouvernement américain étant le premier à avoir pris des mesures contre le travail forcé a déjà quelques ressources en ligne à disposition des entreprises, comme l’application Comply Chain qui contient un guide d’établissement d’éléments importants pour effectuer une diligence raisonnable. Reste à voir comment les autres gouvernements innoveront, mais entre-temps les entreprises doivent rester vigilantes et intégrer les droits humains dans leur processus de diligence raisonnable.
Ce blogue a été rédigé avec la participation d’Éléonore Gauthier, collaboratrice chez CMKZ, suite à la conférence donnée le 25 février 2021 par Bernard Colas sur le sujet « Human Rights are Becoming a Compliance Issue » au USMCA Workshop organisé par le Southwestern Institute for International and Comparative Law.
Pour de plus amples renseignements et notamment pour vous aider à mettre en œuvre un processus de diligence raisonnable, n’hésitez pas à contacter Bernard Colas ou l’un de nos autres avocats chez CMKZ spécialisés en droit du commerce international.